Big Brother is watching you. C’est une réalité de plus en plus concrète pour les investisseurs en cryptomonnaies aux États-Unis. L’Internal Revenue Service (IRS), l’équivalent américain de notre Direction générale des Finances publiques, a considérablement renforcé sa traque de la fraude fiscale sur le marché crypto. Depuis 2017, l’agence est passée d’enquêtes ciblées à une surveillance de masse, capable de remonter le fil des transactions en quasi-temps réel.
- L’IRS a renforcé sa surveillance des transactions en cryptomonnaies, utilisant des « John Doe summons » pour obtenir des informations de plateformes comme Coinbase et Kraken.
- Un nouveau régime de déclaration, le 1099-DA, sera mis en place en 2025 pour automatiser la surveillance des transactions, mais ne couvrira pas les transactions décentralisées.
Des « John Doe summonses » pour forcer les exchanges à coopérer
Le principal outil de l’IRS dans cette traque s’appelle le « John Doe summons« . Derrière ce terme obscur se cache une procédure judiciaire redoutable. En d’autres termes, l’IRS obtient l’autorisation d’un juge fédéral pour forcer une entreprise – un exchange crypto dans ce cas – à lui fournir des informations sur un groupe de clients non identifiés, s’il y a un soupçon d’évasion fiscale. John Doe est le nom générique utilisé pour désigner une personne anonyme.
Cette approche a permis à l’IRS de mettre la main sur des données massives. Des plateformes majeures comme Coinbase, Kraken, et Poloniex ont été les premières cibles. Dans le cadre de l’une de ces enquêtes, l’IRS a obtenu l’accès aux données des utilisateurs de Kraken ayant effectué des transactions de plus de 20 000 dollars entre 2017 et 2020. Comme le souligne l’avocat spécialisé David Klasing dans un article du média DeCrypt, l’agence n’a pas besoin de prouver que chaque individu a commis une faute, ce qui rend cette procédure d’autant plus intrusive.
De l’analyse de la blockchain à la traque des fraudeurs
Une fois ces données en main, l’IRS les combine avec des outils d’analyse de la blockchain, comme l’explique l’agent Karen Cincotta dans l’enquête sur Kraken. Le but ? Créer un profil financier complet de chaque utilisateur. Cela permet à l’agence de comparer les déclarations des contribuables avec les données de transaction, détectant ainsi les incohérences.
Ce processus a déjà donné des résultats spectaculaires. Selon un rapport du Trésor américain, le TIGTA, l’IRS a ouvert 216 enquêtes et envoyé près de 15 000 « soft letters » à des utilisateurs identifiés. Ces lettres sont des avertissements officiels qui leur donnent une chance de corriger leur déclaration, évitant ainsi un audit ou des poursuites pénales. Le même rapport a également révélé un taux de non-conformité fiscale potentiel de 75 % parmi les contribuables identifiés via les exchanges.

Un nouveau régime de déclaration qui va changer la donne pour l’IRS
Pour automatiser cette surveillance, l’IRS a annoncé la mise en place d’un nouveau régime de déclaration, le 1099-DA. À partir de l’année fiscale 2025, les exchanges seront obligés de fournir un rapport détaillé des transactions de leurs clients. Le but est de réduire les erreurs de déclaration passées et de rendre les déclarations fiscales plus précises.
Cependant, ce nouveau régime ne couvre pas les transactions effectuées directement sur la blockchain via des portefeuilles personnels ou des protocoles décentralisés. C’est une lacune qui, de fait, montre la limite de l’autorité fiscale américaine face à la décentralisation croissante de l’écosystème crypto.
L’IRS, une surveillance qui défie la vie privée ?
Ce renforcement de la surveillance ne fait pas l’unanimité et soulève de graves questions sur la vie privée. En juillet, la Cour Suprême a refusé d’entendre un cas qui contestait le droit de l’IRS d’accéder aux données de trading de Coinbase.
Cette décision est un coup dur pour les défenseurs des libertés numériques. L’exchange Coinbase, soutenu par des acteurs majeurs comme Elon Musk, avait pourtant déposé un mémoire décrivant la surveillance de l’IRS comme un « moniteur de cheville financier« , capable de suivre les activités des utilisateurs en temps réel.
Et en France ? La même trajectoire, avec d’autres outils
L’Europe suit la même trajectoire. Tandis que l’IRS s’appuie sur des procédures judiciaires, l’Union Européenne a bâti son propre cadre de surveillance avec le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets). Entré en vigueur en 2024, MiCA impose des règles strictes aux prestataires de services sur crypto-actifs. Les plateformes d’échanges basées en France ou en Europe devront se conformer à des obligations de transparence et de reporting, facilitant ainsi le travail des administrations fiscales comme la DGFiP.
Mais la question de la surveillance ne s’arrête pas là. L’Europe explore également le développement d’un euro numérique. Si ce projet vise à moderniser le système de paiement, il soulève de profonds problèmes éthiques. À l’inverse du cash, qui est anonyme, la version initiale de l’euro numérique pourrait permettre un niveau de traçabilité des transactions jamais atteint. Les critiques redoutent que cela ouvre la voie à une surveillance financière de masse, avec la possibilité de contrôler, voire de « programmer », l’usage de la monnaie par les citoyens.
En d’autres termes, si l’IRS utilise des outils légaux pour percer le voile de l’anonymat, l’Europe pourrait créer un système où la surveillance est une fonctionnalité native. Le message est le même des deux côtés de l’Atlantique : l’ère de l’anonymat total sur les crypto-monnaies est en train de se refermer.
L’article Crypto et fisc : L’IRS renforce sa traque des investisseurs crypto est apparu en premier sur Journal du Coin.